Archives par étiquette : Roman

La route de Beit Zera, les beaux silences d’Hubert Mingarelli

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La route de Beit ZeraLa trame de La route de Beit Zera d’Hubert Mingarelli est limpide : un homme âgé vit avec sa chienne qui va bientôt mourir dans une maison isolée ; un adolescent rend souvent visite à l’animal. Le vieil homme fabrique des boîtes en carton dans le but de rejoindre son fils qui se trouve en Nouvelle-Zélande.

L’histoire se déroule en Israël, près du lac de Tibériade et de la ville de Beit Zera. Stépan fabrique les boîtes pour Eran, son ami depuis qu’ils ont fait le service militaire ensemble.

Une histoire où il ne se passe pas grand chose, où la violence du conflit israélo-palestinien n’apparaît pas au premier abord, aucune allusion, juste un quotidien routinier :

Une fois par mois, Samuelson passait à la coopérative de Beit Zera et achetait pour Stépan de quoi boire, manger et fumer. Vers le soir, il garait son camion devant la baraque en planches et aidait Stépan à porter ses provisions dans la maison. Ensuite ils chargeaient les boîtes façonnées durant la semaine. Puis ils restaient dehors sous la véranda et prenaient une cuite.

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La route de Beit Zera
Hubert Mingarelli
Stock, janvier 2015, 160 p., 16 €
ISBN : 978-2-234-07810-9

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La Servante abyssine, splendide roman intemporel

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servante_abyssineJanvier : rentrée littéraire, mois du blanc et des soldes. Dans le désordre. Les sociologues nous apprennent que nos habitudes de consommation changent : on veut désormais du solide, du durable, on se précipite moins sur le miroir aux alouettes, paraît-il.

C’est la raison pour laquelle je voudrais revenir sur un roman publié chez Actes Sud en 2003, le premier roman d’une jeune femme, Carine Fernandez, un roman époustouflant de maîtrise, un roman qui se dévore d’une traite : pas de gras ou de maladresse dans ce texte de 180 pages, pas de romantisme de bazar, pas de sociologie prétentieuse ; rien que la description d’une vie de servante noire arrivée dans les années soixante-dix en Arabie Saoudite ; rien que l’obsessionnel ennui et la vacuité des femmes saoudiennes ; rien que les multiples façons de survivre dans ce pays lorsqu’on est une inférieure, noire et chrétienne dans un état où les morts non-musulmans n’ont pas le droit d’être enterrés ; rien qu’un style somptueux mis au service d’une histoire magnifique.

Elle n’était pas venue de Djakarta ni de Kuala Lumpur comme les modernes esclaves. Non, juste traversé la Mer rouge après huit journées de marche pour rejoindre Asmara et attendre deux ans et six mois le train jusqu’au port de Massaoua. Deux ans, six mois, huit jours, pour voir enfin la mer et respirer la chaleur suffocante de la plaine côtière. Même air, même mer pour eux les peuples squelettiques de la Corne d’Afrique, que pour les veaux gras du Hedjaz.

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La servante abyssine
Carine Fernandez
Actes Sud, mai 2003, 192 p., 17,30€
ISBN : 978-2-7427-4354-4

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La Cheffe, roman d’une cuisinière, sauce ratée

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la-cheffeUne femme atteint la gloire dans le milieu très masculin de la cuisine alors que rien dans son origine sociale ne la prédisposait à un tel destin. L’ex-assistant et amoureux transi de la Cheffe raconte la vie de celle-ci telle qu’il a pu la reconstituer. À ce récit primitif s’entrelarde la vie du narrateur en Espagne dans un de ces ghettos pour retraités français de la classe moyenne (description cruelle et très réussie de ces vieux qui se comportent comme des jeunes, histoire d’avoir réussi leur vie).

La Cheffe, le personnage principal, animé de la grâce, qui transcende les produits pour offrir la quintessence du goût à ceux qui vont les ingérer, ne connaît qu’une faiblesse : sa fille. Et celle-ci causera sa perte, par jalousie, vanité et méconnaissance de l’instrument de travail de sa mère. C’est fort bien vu : nombre de restaurants ont sombré devant la sottise des enfants et l’amour inconditionnel des parents refusant de voir les incapacités de leurs rejetons. Continuer la lecture

La Cheffe, roman d’une cuisinière
Marie Ndiaye
Gallimard, octobre 2016, 275 p., 17,90 €
ISBN : 978-2-07-011623-2

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Cent ans : le hareng, la mer et l’amertume

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cent-ansJe vous propose une saga norvégienne familiale, pour sortir de l’hexagone et de ses micro-tourments biographiques : Cent ans de la vie d’une famille vus à travers le regard des femmes qui se succèdent de génération en génération.
N’attendez pas de grandes envolées lyriques, une ode au passé de familles triomphantes, avec histoires d’amour et déchirements, entre Dallas et Le sang de la vigne où la belle héroïne est sacrifiée sur l’autel de la cohésion et de la richesse familiale. Saga est un mot mal choisi pour ce texte puissant, rugueux, plein de sentiments violents qui ne doivent rien à la fiction. Ce livre tient de l’arrachement et de l’imprécation.

Lisez plutôt les toutes premières lignes de ce pavé de presque six cents pages qui se dévore de manière addictive :

La honte. Pour moi, c’est le cœur du problème. La honte, j’ai toujours essayé de la camoufler, de l’esquiver ou d’y échapper. Écrire des livres est en soi une honte difficile à cacher puisqu’elle est documentée de manière irréfutable. La honte y trouve son format, pour ainsi dire.
Durant mon enfance et mon adolescence à Versterälen, je tiens un journal dont le contenu est terrifiant. Si éhonté qu’il ne doit tomber sous les yeux de personne. Les cachettes sont diverses, mais la première est dans l’étable vide de la ferme que nous habitons. Sur une solive que je peux atteindre par une trappe aménagée dans le plancher et qui servait autrefois à évacuer le fumier. l’étable devient en quelque sorte un lieu d’asile. Vide. À part les poules. Et j’ai pour tâche de leur donner à manger. […]
Un dimanche matin, il fait son entrée dans l’étable. Je pense à me sauver mais il bouche l’entrée. Je dissimule le carnet en le faisant glisser dans ma botte avant même qu’il ne s’en rende compte. Ce n’est pas non plus le carnet qui l’intéresse, car il ignore encore ce que je peux bien trouver à écrire.

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Cent ans
Herbjørg Wassmo
Traduit du norvégien par Luce Hinsch
Gaïa, février 2011, 557 p., 24€
ISBN : 978-2-84720-182-6

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Black coffee, avec trop de crème

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black-coffeeVoilà un roman policier qui cumule le meilleur et le pire de ce que l’on peut écrire.

Le long de la mythique route 66, un assassin psychopathe sème les morts comme des cailloux durant des décennies. Impossible à découvrir : pas de témoin, l’immensité américaine pour compagne. Pas de témoin ? Un enfant de huit ans, Desmond, a échappé au massacre de sa famille, il deviendra criminologue, bien sûr.

L’assassin vieillit, vit l’intense frustration de qui a créé une œuvre d’art non reconnue ; il choisit un Français qui a fui sa famille lors de vacances américaines pour écrire son histoire. Ce mauvais père, mauvais mari ayant laissé sa femme dans une situation morale et financière inextricable sent qu’il tient un filon et décide d’expédier le cahier à sa femme. Les confessions d’un serial killer valent de l’or.

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Black coffee
Sophie Loubière
Fleuve Noir, février 2013, 564 p., 20,90 €
ISBN : 978-2-265-09407-9

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