Archives de l’auteur : Nicole Giroud

Comment un artiste maudit peut-il s’appeler Lequeu ?

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Le grand bâilleur… Regardez-le pendant trente secondes, et osez affirmer qu’il ne vous fait pas bâiller !

cliché BBF, département des Estampes et de la Photographie

cliché BNF, département des Estampes et de la Photographie

Il ouvre une bouche si grande, que l’on voit sa glotte et ses dents pas très saines, ses yeux sont plissés par l’effort de cette mâchoire si puissamment ouverte qu’il ne sait pas s’il arrivera à revenir en position socialement acceptable.

Est-ce un cocher qui attend un noble couple qui s’attarde à l’opéra ? Ou une représentation du dessinateur lui-même, architecte de formation, qui a végété après la révolution dans des postes miteux et finit par mourir dans la quasi misère ? Continuer la lecture

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Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu, un peu confus et prétentieux

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SansalLe train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu est le troisième livre que Boualem Sansal consacre à la menace islamiste, après l’essai « Gouverner au nom d’Allah » et le roman « 2084 La fin du monde ».

Cette fois il écrit un texte complexe, qui tient à la fois de l’essai, du roman épistolaire, du roman en train de s’écrire, où histoire et sociologie, passé et présent se mélangent. Le tout sous le patronage revendiqué de Thoreau, le militant du retour à la nature, de Kafka et la Métamorphose, ainsi que de Dino Buzzati et son Désert des tartares. Tout cela sans compter les mises en exergue des deux parties du texte convoquant l’Enfer de Dante et les différents clins d’œils littéraires dans les titres de chapitres. N’est-ce pas un peu trop ?

Texte complexe ou confus ? Écrire un texte à emboîtements comme les poupées russes exige de retomber sur ses pattes comme le chat botté ; on ouvre une poupée pour en retrouver une autre, pas pour trouver un méli-mélo d’idées et de références. Voici le prologue un peu prétentieux et grandiloquent :

Ce roman raconte les derniers jours de la vie d’Élizabeth Potier, professeure d’histoire-géographie à la retraite, habitant la Seine-Saint-Denis, victime collatérale de l’attentat islamiste du 13 novembre 2015 à Paris. Après quelques jours entre la vie et la mort, elle émerge de son coma avec une autre personnalité et c’est sous cette identité qu’elle décèdera un mois plus tard.  […]

Les deux histoires additionnées sont une quête de vérité à travers les continents et les époques, vérité que certains, que nous dénonçons au passage, affirment posséder en exclusivité et entendent imposer au monde entier. La construction du roman s’éloigne notablement des cadres habituels de la narration et peut dérouter, mais ainsi est le chemin de la vérité, bien fait pour nous perdre. Dans cette vie, rien ne nous est donné gratuitement. La lecture, si elle s’accompagne d’une véritable méditation, est un acte initiatique. (p.13-14)

Fichtre ! Avant même que le roman commence l’auteur nous précise ce que nous allons trouver dans une sorte de résumé. Le lecteur est averti qu’il va avoir droit à un roman très original et qu’il devra s’accrocher pour retirer la substantifique moelle de l’ouvrage qui se trouve entre ses mains. Continuer la lecture

Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu
Boualem Sansal
Gallimard, août 2018, 256 p., 20 €
ISBN : 9782072798399

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Les influenceurs et leur pouvoir

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Ne cherchez pas le mot influenceur dans le dictionnaire Larousse 2019, il n’est pas encore admis, mais cela viendra, vu l’importance du phénomène qu’il désigne. Il est dérivé du nom influence, « action qu’une personne exerce sur une autre, emprise », et c’est bien de cela dont il était question ce matin sur France Inter. Sonia Devillers recevait le Collectif le Tatou dans L’instant M, des youtubers qui étaient invités pour parler de la façon dont ils avaient été manipulés, transformés à leur insu en lobbyistes par les grandes plateformes d’internet…

Je ne connais rien du tout à l’univers des youtubers, et ce matin la façon dont s’exprimaient les invités de Sonia Devillers sur France Inter me donnait la curieuse impression d’un ethnologue découvrant une tribu inconnue. Cependant ce dont ils parlaient faisait entendre la musique de la manipulation massive, et j’ai dressé l’oreille.

L’article 13 sur le droit d’auteur a été voté au Parlement en septembre mais l’écriture finale est discutée à l’Assemblée en ce moment. Il s’agit de clarifier le droit d’auteur et d’obliger les grandes plateformes comme Youtube ou Instagram à respecter à la fois les droits et les volontés des artistes.

Les plateformes internet affirment que c’est ingérable. Ce matin, le chiffre colossal de quatre cents heures de vidéos postées chaque minute a été avancé ; il donne le vertige et semble donner raison à Youtube et Instagram. Mais n’y a-t-il pas en fait des histoires de gros sous et de pouvoir là-derrière ?

Ce qui a été dit dans cette émission impressionne. Lorsqu’on sait qu’un youtuber peut être suivi par des millions de followers (désolée, mais les anglicismes étaient plus courants que le français dans l’émission) et qu’il possède donc le pouvoir d’influencer ceux qui le suivent, on comprend que la campagne orchestrée par les grandes plateformes soit d’une efficacité redoutable.

Tous manipulés, tous manipulables. Les créateurs de vidéos qui ont souscrit à la demande des plateformes et leurs suiveurs. Nous tous, les marionnettes de ces petites vidéos que l’on regarde en toute innocence pour se distraire ou pour apprendre quelques petites choses censées nous rendre la vie plus facile. Et derrière, de grands groupes à la puissance colossale décident ce qui est juste ou non, les lois qu’il faut ou ne faut pas voter.

J’aimerais vous parler d’une manière un peu plus légère de la famille Chapman, découverte dans Cosmopolitan de janvier 2019. Je ne sais pas si l’édition anglaise et l’édition française coïncident et si la famille Chapman est apparue dans le paysage français. Il s’agit de cinq individus très beaux, tous dans la trentaine ou approchant la quarantaine, quatre frères et sœurs ainsi que l’époux de l’aînée, Nic.

cliché Cosmopolitan, photographe Ben Riggott

cliché Cosmopolitan, photographe Ben Riggott

Les jeunes femmes ont commencé à faire des vidéos en amatrices en 2008 pour donner des conseils de maquillage (elles étaient maquilleuses de vedettes de cinéma), et petit à petit elles ont été suivies par beaucoup de jeunes Anglaises. Leurs conseils se sont affinés, leur notoriété a enflé et les sponsors sont arrivés. Les jumeaux ont pris le train de la notoriété en 2010 et 1011 avec des vidéos humoristiques mais touchant tous les domaines de la décoration ou… de l’aide et des photos pour le mariage de leur sœur aînée. Leur beau-frère a enchaîné avec ses recettes en 2014, recettes de cuisine mais aussi de vie en harmonie avec son conjoint.

Anecdotique, me direz-vous. Cela permet tout de même à la fratrie de vivre dans une grande et belle maison et de loger dans un superbe appartement lorsqu’ils se rendent à Londres. Comme le dit Sam, lorsqu’elles ont commencé leurs vidéos le terme d’influenceur n’existait pas. Elles ont été repérées par un chercheur de « talents digitaux », puis elles ont créé sous sa houlette leur canal Pixiwoo et sont devenues petit à petit des professionnelles reconnues, aimées de leurs followers. Le reste de la famille a suivi.

La famille Chapman est devenue en quelques années l’entreprise professionnelle la plus influente de Grande-Bretagne avec les revenus afférents. Les frères et sœurs sont très populaires, peut-être parce qu’ils gardent les pieds sur terre, peut-être parce qu’ils savent que la bulle de notoriété et d’argent peut éclater d’un jour à l’autre. Peut-être également parce qu’ils ont connu une enfance difficile, avec un père alcoolique et violent quand il n’était pas en prison, et que cela les a soudés. Les Chapman, c’est le miroir d’une certaine Angleterre, le miroir heureux que renvoie parfois la misère quand la baguette Internet transforme la citrouille en carrosse.

P.-S. : Parfois le conte de fées connaît des ratés et le destin se rappelle au bon souvenir des intéressés : les deux jeunes femmes viennent de révéler à leurs fans qu’elles sont toutes les deux atteintes de la maladie qui a tué leur père.

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Quand la prison remplace la maison de retraite au Japon

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La publicité allemande mettant en scène un vieil homme qui ne trouve que l’idée d’annoncer sa mort pour réunir sa famille était une fiction qui vous a beaucoup émus, amis lecteurs… Angoisse de ce qui pourrait vous arriver un jour ? Peur de la solitude ?

C’était de la fiction, mais Edmée de Xhavée parle dans son commentaire d’un vieillard (belge sans doute, car l’euthanasie n’est pas légale en France) qui avait décidé de se faire euthanasier. Et devant le bonheur de revoir ses enfants qui avaient choisi de l’accompagner dans ce moment définitif, il avait repris goût à la vie et renoncé à son projet.

photo Shiho Fukada

photo Shiho Fukada

De manière moins dramatique peut-être, mais infiniment douloureuse et inquiétante, j’aimerais évoquer ce véritable phénomène de société au Japon, à savoir l’explosion du nombre de personnes âgées en prison depuis une dizaine d’années. Continuer la lecture

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Vieillesse, solitude et marketing

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Voilà, c’est terminé, ces fêtes de fin d’années qui serrent le cœur de tous les solitaires. Les jeunes peuvent utiliser les médias sociaux et se réunir pour masquer bruyamment le manque, mais les vieux ? N’avoir que son chat ou son chien pour seul compagnon, ou pire, la télévision, alors que partout clignotent les lumières de Noël… La campagne ressemble désormais au village du Père Noël en Finlande, et chacun y va de sa débauche de guirlandes soulignant le toit ou le balcon ; la ville noie le piéton sous ses coulées d’or et ses scintillements qui font disparaître les étoiles. Quelle agitation ! En dehors des mouvements sociaux de fin de semaine, la grand-messe commerciale bouscule et agresse les vieux qui n’ont pas de cadeau à offrir et ne seront reçus par personne.

Chaque année il faut convaincre les acheteurs de choisir son magasin, et le supermarché allemand Edeka est devenu expert en la matière, remarquablement aidé par l’agence Jung von Matt Hambourg qui sait admirablement conjuguer phénomène de société, inquiétude et esprit de Noël. La publicité la plus remarquable à mon avis est le spot que l’agence a fourni pour Noël 2015.

Cette année-là, l’agence a choisi le thème de la vieillesse et de la solitude dans une publicité de deux minutes si émouvante que je gage quiconque de ne pas verser une larme. Je vous la laisse découvrir…

Noël_Edeka

Crédit Le Point

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